Les finances de l’Église, les scandales d’agressions et de viols par des prêtes, la guerre, la cathédrale de Chartres, Monseigneur Philippe Christory, évêque de Chartres, a répondu aux questions de la rédaction et celles de lecteurs.
L’évêque de Chartres, Monseigneur Philippe Christory, 65ans, était l’invité de la rédaction de L’Écho Républicain à l’occasion de Noël. Le public et les lecteurs étaient invités à lui poser des questions et/ou à venir à la rédaction du journal pour l’interview réalisée mardi, en fin d’après-midi.
Philippe Christory est arrivé à vélo et en tenue adéquate. «Comme m’a dit un jour un ami breton, il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements…»
Dieu, l’Église, l’Ukraine
2022 a été marquée par la guerre en Ukraine, des inégalités toujours plus importantes, un dérèglement climatique qui se manifeste de plus en plus, une crise énergétique qui touche particulièrement les plus pauvres. Est ce que Dieu, pour ceux qui y croient, était en grève cette année ?
Ça me fait sourire, parce que c’est une expression très humaine. J’imagine que Dieu a dû travailler beaucoup plus que d’habitude. Beaucoup de problèmes auxquels nous faisons tous face comme humain et citoyen sont le fait de l’Homme et des conséquences des choix qu’il pose. La guerre en Ukraine est une calamité. Je ne peux pas imaginer un instant qu’on puisse prétendre faire la guerre pour rendre son propre peuple plus heureux. Si Dieu agit là, il ne peut que suggérer la paix. Après, l’Homme est laissé à son libre arbitre, qu’il n’utilise pas toujours à bon escient.
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L’Église catholique appelle à la prière pour que les choses changent, ou tout du moins, évoluent…
L’Église demande que l’on prie pour la paix, cela veut dire qu’on prie pour que des êtres humains qui ont un pouvoir de décision sur ces événements, choisissent la concertation, la négociation, et la paix. Mais l’histoire montre que l’Homme n’en fait qu’à sa tête, quand il considère qu’il n’a pas à écouter ni Dieu ni d’autres personnes. Et c’est souvent le drame pour une majorité de gens. L’Ukraine, c’est un drame absolu. Voir un pays au XXIe siècle se faire démolir…
L’évêque de Chartres, Mgr Philippe Christory
Je ne peux pas imaginer un instant qu’on puisse prétendre faire la guerre pour rendre son propre peuple plus heureux
Quand des foules immenses se déplacent pour le ballon rond, une ruée aussi importante devrait être initiée par le Pape pour le Noël orthodoxe à Kiev, estime un lecteur. Son insouciance paraît tout à fait déplacée et révoltante pour beaucoup de fidèles. Qu’en pensez-vous ?
Le pape appelle à la paix depuis le tout début, avec des mots très forts et même ses larmes. On l’a vu pleurer en priant pour l’Ukraine. L’Église agit à l’initiative du pape par ses réseaux de paroisses, son réseau diplomatique en tant qu’État. Il a souvent eu un rôle de médiation dans les conflits entre les belligérants. Maintenant, j’entends le désir de cette personne. L’idée est intéressante, mais elle n’est pas faisable. Le monde est complexe. Mettre des gens en danger en les rassemblant n’est certainement pas un choix très raisonnable.
Symboliquement, vous pensez que cela ne pourrait pas stopper les combats au moins le temps d’une trêve ?
Ce que l’on réussit au football, on ne le réussit pas par ailleurs. Le football est une très belle réussite cette année, même si on peut dire des choses sur le Qatar, les milliers de morts sur les chantiers qui est un drame absolu. Parler d’insouciance, c’est une méconnaissance totale de ce que fait le pape qui va en Azerbaïdjan, dans les pays d’Afrique en plein conflit, où il met même sa propre vie en danger pour dire justement aux gens de choisir les voies de la paix et de la justice. Car sans justice, il n’y a pas de paix. L’Église n’a pas de divisions armées !
Pédocriminalité dans l’Église
Un an après la révélation d’une pédocriminalité systémique au sein de l’Église, les affaires concernant onze évêques ou anciens évêques replongent l’institution catholique dans une crise dont elle ne semble pas voir la fin. Il n’y a pas un mois où un prête en France est soupçonné par la justice d’agression sexuelle ou de viol, notamment sur mineurs. Encore récemment, le curé de Vendôme (Loir-et-Cher), soupçonné de ces maux a été suspendu de ses fonctions par l’évêque de Blois. Comment l’Église peut-elle s’en sortir ?
Je pense que l’Église s’en sort. Ce n’est pas un futur. C’est un présent. Un gros chemin a été fait et il a été décapant. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) a été reçu avec effroi, mais a été reconnu même dans les sphères juridiques civiles comme étant un énorme travail et un énorme effort.
D’ailleurs, l’État a depuis lancé une instance indépendante contre l’inceste à l’image de ce que l’Église a fait contre les abus. Il y a un parcours qui se fait. J’ai reçu aujourd’hui même, un message dramatique et touchant d’une femme meurtrie, et qui pourtant me dit d’avancer, en soulignant qu’elle reconnait le travail qui est accompli. La Ciase a annoncé un nombre assez énorme de victimes. C’est un calcul statistique. Il est évident que l’on aura connaissance de nouvelles situations. Les victimes ont du mal à parler, parce que parler c’est revivre.
Je ne pensais pas que je serais à ce point-là confronté à ces questions en devenant évêque.
L’ancien curé de Chapelle-Royale, l’abbé Charrieau, aujourd’hui décédé, a été condamné en 2003 à vingtans de réclusion criminelle par la cour d’assises d’Eure-et-Loir, pour viols et agressions sexuelles sur douze filles et garçons. Depuis, le diocèse semble ne pas rencontrer de difficultés. Est-ce le cas ? Comment faites-vous localement pour veiller à la bonne tenue de l’Église ?
On a une cellule d’écoute qui est animée par Didier Gougis, qui est diacre. Elle est active. Je le rencontre de temps en temps. On communique beaucoup par messages, quand il y a des nouvelles. Pas forcément de nouvelles affaires, mais un document qui sort, quelque chose qui est publié et qui aide à discerner. On travaille avec la jeunesse, avec une charte de bientraitance que tout animateur d’une activité doit signer, avec des éléments très précis. Il y a la demande expresse d’un extrait de casier judiciaire pour tout adulte travaillant avec des mineurs. J’ai fourni le mien au diocèse lorsque j’ai emmené des servants de messe à Rome, pour un grand rendez-vous en août.
On a des rencontres régulières avec des prêtres, des animateurs. On est beaucoup dans la prévention, comme dans les écoles. On ne confesse pas un enfant tout seuletc. En revanche, je suis sans illusion sur la fragilité de l’être humain. L’inceste est une réalité terrible, tellement elle est répandue. On aura encore des adultes attirés par des enfants. Je crois aussi qu’il faut qu’on aide ces gens-là, d’autant plus que la majorité des prédateurs ont été victimes eux-mêmes. Il faut des moyens, il faut des experts. Je ne pensais pas que je serais à ce point-là confronté à ces questions en devenant évêque. On en parle beaucoup entre évêques à Lourdes et on est hyperattentif à toutes les situations.
La question du secret n’existe plus. Je ne garde pas pour moi une information. J’en parle à ma cellule, à mon vicaire général. J’appelle des experts à la conférence des évêques de France pour savoir comment aborder la question qui se pose. Je vais aussi voir le procureur de la République.
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Vous ne lavez donc plus votre linge sale en famille…
Ça s’est peut-être fait dans le passé dans l’Église, comme dans les écoles ou partout ailleurs. Aujourd’hui, pas du tout.
La fin du célibat des prêtres serait-il une des solutions à ce problème ?
Vous savez, les experts estiment qu’un enfant sur cinq est victime d’inceste en Europe, et sans doute un sur deux en Asie. Qui fait ça ? Les parents, l’oncle, des gens mariés... La Ciase a fait une longue étude et ne recense aucun lien entre le célibat des prêtres et les abus sexuels sur mineurs.
La cathédrale, les finances de l’Église, Noël
Quelle est votre vision sur la cathédrale, qui est à la fois un monument et un lieu de culte ?
C’est évidemment un monument et une église en même temps. C’est un lieu extraordinaire qui illustre le génie de l’Homme qui a fait ça. C’est un lieu qui a été créé pour être la maison de Dieu. Ceux qui ont élaboré ce lieu, depuis ses fondations romanes jusqu’à son caractère gothique, voulaient en faire un lieu de culte. Ils l’ont embelli de vitraux, de statues pour apporter des supports visuels et artistiques.
Ça reste un lieu de culte, même si la qualité artistique le fait reconnaître comme un patrimoine mondial de l’Unesco. Je suis heureux que l’État, en tant que propriétaire, en prenne soin. Ça honore ceux qui ont voulu ce lieu si beau si grand, et ceux qui l’ont entretenue depuis. Ça nous honore nous, la France, qui en sommes les propriétaires, parce qu’en réalité l’État, c’est nous tous. Quand on dit que c’est l’État qui paye, en réalité c’est le peuple qui finance tout ça.
Y a-t-il une transparence sur les finances du diocèse ?
C’est absolument transparent. J’ai encore demandé récemment en conseil économique que chaque paroisse publie une feuille avec ses comptes. C’est très important, parce que l’Église ne vit que de dons. Elle ne bénéficie d’aucune subvention. C’est donc le fruit de la quête, des pèlerinages qui rapportent un peu d’argent et c’est le denier de l’Église. Ce denier est stable, à hauteur de 1,2million d’euros à l’échelle du diocèse, donc du département. Un pratiquant sur quatre seulement donne.
Le budget de l’Église, avec toutes les paroisses, c’est 6millions d’euros. Les quêtes représentent, de mémoire, 1,8million d’euros. Notre gros point d’interrogation, c’est la part non financée des 6millions, qui normalement est compensée par les dons, legs et donations. Ce montant qui a été très bon en 2021 avec 2,2millions d’euros, est retombé à moins de 500.000€ cette année. On s’attend à ce qu’il nous manque plus d’un million d’euros. On a une trésorerie de 2millions d’euros, mais on est face à une incertitude pour l’avenir. J’appelle les gens qui aiment l’Église à être généreux parce qu’on a besoin d’équilibrer nos comptes.
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Certains diocèses ont déjà dit qu’ils allaient être obligés de ne plus chauffer certains locaux…
On ne chauffe plus certains lieux de culte. On ne chauffe plus la cathédrale de Chartres. Elle a pris un coup de froid. C’est objectivement trop cher.
Noël dernier avait encore été marqué par la pandémie de Covid-19 et un contexte qui n’invitait pas au rassemblement. Même si les chiffres de l’épidémie invitent à la prudence, qu’en est-il aujourd’hui pour l’Église ?
Globalement, nous sommes dans un climat libéré. Beaucoup de gens sont vaccinés. Les gens fragiles peuvent mettre un masque s’ils pensent que c’est bien. On n’a pas de contrainte spécifique. On va célébrer sereinement Noël, avec je pense, beaucoup de monde.
On ne chauffe plus certains lieux de culte. On ne chauffe plus la cathédrale de Chartres.
Quel est votre programme pour Noël ?
Je vais célébrer quatre messes, à commencer par la messe de Noël au centre de détention de Châteaudun, le 24 au matin. J’espère qu’on n’aura pas les contraintes de jauge de 25 personnes comme l’an dernier. J’aurai ensuite la messe le soir à Rechèvres, puis à minuit le 24décembre et celle de 11heures le 25décembre en la cathédrale de Chartres.
L’espérance, les reliques
L’an passé, vous insistiez sur le thème de l’espérance. Sur quoi allez-vous insister cette année ?
L’espérance reste un très beau mot et il en faut. C’est un grand classique. J’aimerais parler de fraternité et d’hospitalité parce que je pense que ça ne s’est pas amélioré avec la pandémie. Des gens se sont isolés. Je suis toujours en attente de davantage de liens.
Les reliques de sainte Thérèse seront accueillies, en début d’année, dans toutes les paroisses du diocèse de Chartres. Qu’est-ce qu’une relique et en quoi est-ce important ?
C’est un objet, soit une partie d’un corps humain, soit un objet ayant appartenu à un saint, un vêtement, une croix... Ça paraît un peu désuet, le culte des reliques. Ça fait penser au Moyen-Âge. À Chartres, on a une relique incroyable qui est le voile de Marie. Qu’importe si elle l’a porté ou non.
Ça été donné par l’impératrice Irène (l’Athénienne) à Charlemagne. Ça ne peut pas être un cadeau banal. Il avait une grande valeur tant pour l’un que pour l’autre. C’est grâce à cela que l’on construit Chartres pour aller aux pieds de cette relique. La relique est intéressante pour moi, parce qu’elle dit une chose importante pour la foi chrétienne: à Noël on fête la proximité de Dieu qui se fait homme en Jésus. Un saint est quelqu’un qui a vécu l’Évangile et qui a prolongé l’incarnation du christ lui-même, en éduquant, en priant comme saint Benoît, ou en soignant comme Thérésa de Calcutta. La relique nous dit aussi: à ton tour de vivre vraiment l’Évangile.
François Feuilleux
